tale as old as time
"Allez viens, tu vas voir, ils sont super cool !". Je réprimais une grimace alors que ma meilleure amie me traînait jusqu'à l'ascenseur de l'immeuble dans lequel nous étions entrés quelques minutes plus tôt. Si Phoebe était certainement la personne que j'affectionnais le plus sur cette planète, sur le moment, je la détestais. Les portes de l'ascenseur se fermèrent derrière nous et Phoebe me lança un sourire témoignant de son excitation momentanée. Après plusieurs mois de galères amoureuses, elle avait enfin retrouvé l'amour... Enfin, c'était un bien grand mot. Ma meilleure amie était de ce genre à ne pas aimer être célibataire et, dès qu'elle pouvait mettre le grappin sur un beau mâle, elle ne se gênait pas. La plupart du temps, ça se finissait mal, parce qu'elle tombait sur des idiots de première et cette fois-ci, j'étais certaine que c'était encore une fois le cas. Pour autant, elle m'avait presque forcé à me rendre avec elle à la fête donnée par son nouveau petit-copain. Moi, ça ne m'intéressait pas. Contrairement à Phoebe, je m'étais levée tôt ce matin là. J'avais travaillé toute la journée, oubliant ma pause déjeuner à cause d'un problème informatique vraiment flippant. J'avais à peine eu le temps de sortir de l'immeuble où se trouvaient les locaux du cabinet pour lequel je travaillais que mon regard s'était posé sur Phoebe, un sourire énorme sur les lèvres, m'attendant avec excitation. Et c'est ainsi que je m'étais retrouvée en chemisier, jupe crayon et talons hauts à une soirée de toxicos... Enfin, ma mère m'avait bien appris à ne pas juger les gens à la hâte, mais il suffisait de sentir l'odeur des substances illicites au travers de la porte de l'appartement encore fermé pour se faire une idée du genre de soirée à laquelle j'allais assister. Phoebe passa une main dans sa tignasse blonde dont j'avais toujours été un peu jalouse, et frappa quelques coups à la porte. Je me doutais que ce soit utile en vue de la musique qui résonnait dans l'appartement et des nombreuses voix qu'on pouvait discerner, mais j'eus complètement tord, puisque quelques minutes plus tard, la porte s'ouvrait, laissant apparaître un grand gars, assez bien bâti. Son regard s'illumina à la vie de ma meilleure amie et elle lui sauta dans les bras.
"Bébé !". Je levais les yeux au ciel alors qu'ils se bouffaient la bouche l'un et l'autre. Ils en étaient déjà au stade des surnoms niaiseux. C'était ridicule. Moi qui était en couple depuis cinq ans, je ne parvenais à appeler mon petit-ami avec ce genre de surnoms. J'avais bien tenté le "mon amour" un jour, avant de récolter les critiques de mon homme. Suite à quoi, nous étions restés à nos patronymes. Lorsqu'ils se décolèrent enfin, le regard du propriétaire des lieux se posa sur moi et je me sentis franchement pas à ma place.
"Alex, je te présente Milla... Milla, Alex !". Je levais la main, prête à le saluer, mais il me prit de court en posant ses mains sur mes épaules et en me serrant contre lui. Okay, c'était gênant. Lorsqu'il relâcha son étreinte, il nous invita à entrer.
"Allez-y, faites comme chez vous !". Y avait pas mal de monde, ce qui était assez étonnant pour un soir de semaine, mais je ne relevais pas. L'appartement n'était pas bien grand, mais étonnement assez charmant. Enfin, si on oubliait les bouteilles d'alcool qui traînaient ici et là et les canettes de bière jonchant notre passage.
"Il est mignon, non ?", me demanda Phoebe, son bras attrapant férocement le mien alors que nous étions désormais dans le salon. Je haussais légèrement les épaules, mon regard balayant minutieusement la pièce.
"C'est vrai que toi, t'es plus du genre fifils à papa en polo lacoste !". Fronçant les sourcils, je posais mon regard sur ma meilleure amie qui s'afférait à nous servir deux verres d'alcool.
"Laisse Julian en dehors de ça", dis-je un peu sur la défensive. Rares étaient les personnes de mon entourage à réellement apprécier Julian. Même ma famille semblait avoir un peu de mal avec mon amoureux. En un sens, je pouvais le comprendre. Julian venait d'un autre milieu. Son père était à la tête d'une grande banque et son fils était son digne successeur. Il vivait la vie typique du jeune riche en quête de gloire et pouvait se montrer un peu hautain parfois. Mais je m'en fichais. Je l'aimais et c'était tout ce qui comptait.
"Okay okay, on va pas se disputer ce soir, encore moins à cause de lui. Tiens, buvons pour nous détendre !", déclara Phoebe me foutant le gobelet de force dans les mains. J’acquiesçais et buvais ma première gorgée, grimaçant lorsque l'alcool descendit le long de ma trachée.
"Sam !!", hurla mon amie, me faisant sursauter. Elle se jeta alors dans les bras d'un jeune homme à l'allure décontractée. Ses cheveux étaient en bataille, son regard rougis par la drogue, probablement et sa tenue était en parfaite opposition à la mienne.
"Eh Blondie, y a Alex qui te cherche depuis tout à l'heure ! Il est dans la cuisine !". Il n'en fallut pas plus à ma meilleure amie pour m'abandonner à mon sort et quelques secondes plus tard, elle était hors de ma vue. Je lâchais un léger soupire alors que le prénommé Sam était toujours planté en face de moi.
"Tu dois être Milla ?". Je hochais positivement la tête, alors qu'il me reluquait de haut en bas sans aucune gêne.
"Phoeb' nous a parlé de toi". Je plissais les lèvres, sentant la colère monter en moi.
"Mes yeux sont plus haut !", déclarais-je froidement, alors qu'il lâchait ma poitrine du regard, un sourire sur le coin des lèvres.
"'Scuse, mais la vue est meilleure un peu plus bas". J'ouvrais de grands yeux, outrée par l'aplomb de ce mec. On se connaissait depuis quoi ? Trois minutes et il commençait déjà à me sortir par tous les trous.
"C'est sûr qu'avec un comportement comme ça, tu dois pas voir beaucoup de seins dans ta vie !". Encore une fois, la désinvolture de son rire fit monter un petit peu plus ma colère.
"Détrompe-toi !". Il s'approcha alors de moi, mon corps se raidit immédiatement et j'ouvrais de grands yeux.
"C'est toi, coincée comme tu es, tu dois pas baiser bien souvent !". C'en était trop, prise d'un sentiment de colère intense, je posais ma main se libre contre son torse, le repoussant brutalement. Il sembla un peu surpris, si bien qu'il eut un mouvement de recul, avant de reprendre un peu de contenance.
"C'est ça de sortir avec un fils à papa...". Surprise, je le sondais quelques instants... Avant de comprendre. Phoebe. Sa langue bien pendue avait du parler de moi à son mec et ses potes et surtout de Julian. Elle allait en entendre parler.
"Mon fils à papa et moi, on t'emmerde espèce de looser !". Et puis merde ! Phoebe était ma meilleure amie, je l'adorais, mais là, c'en était trop. En un rien de temps ce tocard m'avait foutu à bout et je n'avais qu'une seule envie : celle de rentrer chez moi. Ne me faisant pas prier, je m'éloignais à la hâte, poussant quelques personnes sur mon passage pour me barrer au plus vite. Et alors que je m'approchais à grand pas de la porte d'entrée de l'appartement, j'entendis un
"A la prochaine la mal baisée !" résonner derrière moi.
"C'est fini". Ces quelques mots résonnaient dans mon esprit, refusant de me laisser en paix. Ça faisait dix bonnes minutes que mon regard restait fixé à l'écran de mon téléphone, imprimant un peu plus dans mon cerveau cette simple petite phrase qui remettait pourtant tout en cause. Il me quittait. Après cinq ans de couple, des projets plein la tête et de l'amour à en crever, il me lâchait avec un simple message via nos téléphones portables. Quel connard ! J'attrapais une nouvelle fois mon verre que je portais à mes lèvres. Mon système commençait à être habitué à la férocité de l'alcool, puisque j'enchaînais les verres depuis deux bonnes heures. Je sentis alors une présence à côté de moi et le visage radieux, mais visiblement désolée de Phoebe m'apparut.
"Allez, lâche ton téléphone, ce bouffon n'en vaut pas la peine !". Voyant que je ne réagissais absolument pas, ma meilleure amie attrapa mon téléphone de force et l'enfonça directement dans la poche de son pantalon. J'allais protester, mais elle leva son verre, me faisant signe de trinquer avec elle.
"A ton célibat, tu verras, c'est pas plus mal d'être seule !". Je levais les yeux au ciel, me faisant violence pour attraper mon verre et le claquer contre celui de Phoebe.
"C'est toi qui dis ça ?". Elle pouffa de rire et j'avalais la dernière gorgée, avant de reposer mon verre sur le bois du bar. Une seconde plus tard, le serveur l'avait emporté avec lui.
"Viens, on va danser !". Je grimaçais, mais me laissais faire. De toute façon, au point où j'en étais. Lorsque j'avais reçu le fameux sms de la part de Julian, j'avais immédiatement prévenu ma meilleure amie. On était restées une bonne heure chez moi à le maudire et sécher mes larmes. Puis, elle avait décidé de m'emmener en boite de nuit.
"Pour te changer les idées", avait-elle dit, mais au final, lorsqu'on avait croisé la route de Alex et ses potes, j'avais rapidement compris le traquenard. Enfin, sur le moment, je m'en fichais. Je voulais simplement oublier cette douleur au plus profond de mon cœur. Je voulais enlever l'image de Julian de mon esprit et pour ça je n'avais trouvé qu'une seule solution : l'alcool. Là, au milieu de la piste de danse, entourés de gens aux déhanchés contrôlés, j'avais un peu l'impression de faire tâche, mais ne relevais pas plus que ça. Phoebe m'attrapa les bras me forçant et me mouvoir au rythme de la musique et je me laissais finalement aller, désinhibée par le trop plein d'alcool dans mon système. Je fermais les yeux, m'agitant de plus en plus, les mains de Phoebe perdant contact avec mes bras. Les basses résonnaient dans mes oreilles et je sentis une présence derrière moi. Un corps se coller au mien. Si en temps normal ça m'aurait dérangé, là, ce n'était pas le cas. Mettez ça sur le compte de mon célibat ou de l'alcool, mais je profitais de ce moment sans me poser trop de questions. Mon regard s'ouvrit au moment où la présence dans mon dos me retourna pour lui faire face.
"Toi ?". Étrangement, je n'étais pas agressive alors que Sam dansait, bien trop proche de moi. Ses mains sur mes hanches, son souffle balayant ma peau, je me surprise à détailler les contours de son visage. Il était beau garçon, il fallait bien l'avouer. Il méritait bien un rendez-vous chez le coiffeur, mais au delà de ça, ses traits étaient fins et harmonieux. Un sourire prit place sur ses lèvres.
"Arrête de me reluquer, j'vais finir par rougir", lâcha-t-il assez fort pour que je l'entende par dessus la musique. Je levais les yeux au ciel en pouffant de rire.
"Tu peux rougir toi, vraiment ?". Ce fut à son tour de lever les yeux au ciel et je compris pourquoi ma mère me réprimandait toujours quand je faisais ça. C'était un peu agaçant. Ses mains sur mes hanches se resserrèrent et sans comprendre comment c'était possible, je me retrouvais encore plus proche de lui.
"Faut croire...". Julian me semblait loin. Pour la première fois de la soirée, je ne pensais plus à mon amour perdu, à toutes ces années à ses côtés et mon cœur complètement en miettes. Depuis que Sam m'avait interpellé, mon attention était focalisée sur lui et sur le moment, c'était tout ce qui comptait. Tout, sauf cette douleur qui menaçait de revenir. Je posais alors mes mains contre sa chemise, la serrant au creux de mes poings alors que nos souffles s'entremêlaient. Il ne me suffit que d'une légère pression pour que nos lèvres se rencontrent. Un baiser assez timide, mais qui s'intensifia rapidement alors que je fermais mes paupières, inhalant cet excès de folie qui m’empêchait de sombrer. Plus rien ne comptait. Les gens autour de nous ne semblaient plus exister, ma colère de l'autre soir me semblait bien lointaine. Seul ce sentiment de liberté intense brouillait mon esprit et lorsque nos lippes se lâchèrent pour inspirer un peu d'air, nos regards se rencontrèrent une nouvelle fois.
"Chez moi ou chez toi ?", me demanda-t-il à bout de souffle. En temps normal, je n'aurais pas accepté. J'avais toujours scandé haut et fort le fait que je n'étais pas de ce genre de fille à coucher le premier soir, encore moins avec quelqu'un que je ne portais pas dans mon cœur. Mais là, la logique ne faisait plus partie de mon système. Elle s'était envolée au moment où mon cœur s'était brisé et, sans même réfléchir, je lâchais un franc :
"Chez toi".
J'étais en retard, ce qui n'était absolument pas dans mes habitudes, encore moins pour ce genre d’événement. Ma grande-sœur avait organisé une fête en l'honneur de ses fiançailles et ce n'était franchement pas le moment de faire une scène. Je sortais en catastrophe de ma voiture, maudissant les talons que je portais et qui m'empêchaient de courir convenablement. J'entrais enfin dans la sublime bâtisse et soufflais un bon coup. Je devais avoir fière allure là, complètement essoufflée, ma robe mal placée, mon chignon complètement en bataille et mon maquillage probablement ruiné. Pour sauver le peu d'honneur qu'il me restait, je recherchais les toilettes du regard, mais l'arrivée de ma mère me coupa dans mon élan.
"Ah Mimi, tu es là, enfin !". Je déglutissais difficilement alors que ma mère me prenait rapidement dans ses bras. Ça faisait pas mal de temps que je ne l'avais pas vue. En fait, depuis qu'elle avait retrouvé l'amour, elle avait déménagé. Ça avait été compliqué pour tout le monde, certains d'entre nous n'avaient pas compris qu'elle retrouve l'amour après le décès de notre père, mais ça faisait six ans maintenant... Moi, j'étais contente pour elle, le principal était qu'elle soit heureuse... Et elle rayonnait ce soir là.
"Viens, tout le monde est dans le salon principal, ça va être l'heure des photos !". Ma mère semblait toute excitée alors qu'elle me traînait dans la fameuse pièce. C'était immense et assez classe, il fallait bien l'avouer. Il y avait du monde. De la famille plus ou moins proche, des amis de ma sœur et puis, des gens que je ne connaissais pas, probablement des proches de mon futur beau-frère. Des diaporamas passaient sur le rétroprojecteur et je grimaçais à la vue d'une vieille photo sur laquelle ma sœur et moi prenions la pause. Je devais avoisiner les six ans et si ma sœur était sublime, moi, j'avais l'air complètement idiote avec mes dents en moins et le sourire stupide qui allait avec. Tout le monde semblait accaparé par le spectacle lorsque je sentis mon téléphone vibrer dans ma pochette. J'attrapais mon appareil et ouvrais de grands yeux à la vue du message qui s'affichait sur l'écran.
"Tu feras gaffe au suçon dans ton cou". Merde, merde, merde ! Je passais une main dans mon cou, cherchant l'endroit où devait se trouver la trace violacée et lorsque je sentis une légère douleur, je me contentais de détacher mes cheveux, les passant sur le côté de mon épaule pour camoufler le tout. Sam allait franchement me le payer, ça devait bien être la quatrième fois qu'il s'amusait à me faire des suçons sans prévenir... A croire qu'il était doué pour détourner mon attention dans ce genre de moments. Enfin, j'avais beau me dire à chaque fois que c'était la dernière, je finissais toujours dans son lit. C'était la merde et ce petit con semblait s'en réjouir.
"Oulà, t'as la tête d'une personne qui s'est envoyée en l'air toute l'après-midi, toi !". Je sursautais alors que mon frère me sondait, hilare. J'ouvrais immédiatement la bouche, le rouge me montant aux lèvres.
"Quoi ? Non ! N'importe quoi ! Jamais de la vie !". Instinctivement, je vérifiais que mes cheveux cachaient bien la zone sinistrée de mon cou alors que Graham reprenait.
"Calmos frangine, tu fais ce que tu veux de ta vie sexuelle avec Julian !". Je grimaçais à l'évocation du prénom de mon ex. Ça avait beau faire quelques semaines, je n'avais pas encore prévenu ma famille de notre séparation... et même si je me doutais bien que la soirée de fiançailles de ma sœur n'était pas le lieu adéquat pour ça, je me décidais à le dire à mon grand-frère.
"On n'est plus ensemble", disais-je, mon regard se posant sur la photo de notre sœur au bord de la plage, pendant des vacances un été de notre enfance.
"Oh mince, désolé, je savais pas... tu vas bien ?". Je regardais alors mon frère, lâchant un léger sourire pour ne pas l'inquiéter.
"Oui oui, t'en fais pas". Mais est-ce que j'allais bien ? Je n'en savais trop rien. J'avais encore des moments où je pleurais comme une dépressive dans mon lit, mais lorsque je sentais que ça n'allait vraiment pas, j'avais la solution. Sam. C'était flou, aux antipodes de mes principes, des règles que je suivais depuis toujours... mais bordel, pour une fois, ça faisait du bien de se lâcher un peu...